Le régime de démocratie élective qui est le nôtre depuis plus de 150 ans n'est pas réellement démocratique. En effet, le mot démocratie provient du grec - demos (peuple) et kratos (pouvoir) - et signifie que le peuple se gouverne lui-même. Avec la démocratie élective, le peuple abdique son pouvoir au profit d'élus qui sont convaincus d'avoir la légitimité nécessaire pour prendre eux-mêmes toutes les décisions, pendant toute la durée de leur mandat, sans en référer au peuple. Appeler un tel régime « démocratique » revient à dénaturer complètement le sens de ce mot.
Sous le système électif, les citoyens ordinaires ont très peu de chance de se faire entendre. Les politiciens se contentent de les courtiser en période électorale. Par contre, les gouvernants sont toujours à l'écoute des groupes de pression, ayant continuellement en tête la préoccupation de se faire réélire. Pour cette raison, notre système mérite plutôt le nom de « lobbycratie ».
Si les révolutionnaires français et anglais qui ont inventé le système électif avaient pu deviner à quelles dérives les partis politiques et la partisannerie nous conduiraient, ils auraient sûrement opté pour un autre système. Une procédure alternative de nomination des dirigeants a déjà été expérimentée avec succès chez les Grecs anciens, ainsi qu'au Moyen Âge et à la Renaissance dans les républiques italiennes de Florence et de Venise: il s'agit du tirage au sort.
Le tirage au sort permet de donner le pouvoir au peuple. Les gouvernants ainsi choisis se voient accorder un mandat clair non pas de gouverner à la place du peuple, mais d'être à l'écoute de la population, d'œuvrer en étroite collaboration avec celle-ci pour élaborer les politiques publiques et d'être préoccupés avant tout par la bonne gouvernance*.
Avec un tel système, les querelles partisanes sont évacuées de la scène politique et les membres de l'Assemblée nationale ne sont plus soumis à une discipline de parti. Ils peuvent dialoguer librement avec leurs électeurs et animer un débat public dénué de partisannerie conduisant à des prises de décisions éclairées. Un tel débat est facilité par l'abolition de la culture du secret et de la pratique du « contrôle du message » qui conduisent actuellement les politiciens à ne révéler que les faits qui font leur affaire et à présenter tout le reste de façon biaisée. Dans l'état actuel des choses, les scientifiques payés par les contribuables, de même que tous les fonctionnaires d'ailleurs, sont bâillonnés et ne sont pas en mesure de contribuer au débat public.
N'ayant plus à se faire élire, les gouvernants ne sont plus soumis aux pressions des groupes d'intérêts et peuvent, sans contrainte, se préoccuper avant tout du bien-être de l'ensemble de la population. C'est la fin des caisses électorales et l'argent n'a plus aucune place dans le système politique. Les nominations partisanes aussi disparaissent.
De plus, ce nouveau système marque l'élimination des politiciens professionnels dont l'objectif premier, sinon unique, est de se faire élire et réélire. Ces politiciens professionnels sont remplacés par des femmes et des hommes qui ont toute la latitude voulue pour faire de la politique autrement.
Un autre atout et non le moindre, est de permettre aux gouvernants d'être libérés des impératifs de courte vue et de travailler en fonction du long terme.
La désignation des membres de l'Assemblée nationale par tirage au sort s'apparenterait au choix des jurés aux procès criminels. Deux modifications s'imposeraient cependant: les candidats devraient se porter volontaire et le processus de sélection aurait lieu avant le tirage au sort. On s'assurerait ainsi de la motivation et de la compétence des candidats parmi lesquels une sélection au hasard serait effectuée.
Deux circonstances facilitent la mise en place d'un système fondé sur le tirage au sort : premièrement, la société compte beaucoup plus de gens instruits qu'auparavant; deuxièmement, les nouvelles technologies de communication permettent de transmettre facilement de l'information à la population, d'instituer un véritable dialogue entre gouvernants et gouvernés et de réaliser une démocratie ouverte.
Montesquieu disait que « le suffrage par le sort est de la nature de la démocratie et le suffrage par choix est de celle de l'aristocratie ». Alors que les élections donnent le pouvoir à une élite qui a naturellement tendance à défendre les intérêts de la classe dominante, le tirage au sort permet de choisir des gens ordinaires uniquement préoccupés par la bonne gouvernance et le bien général.
*Les caractéristiques de la bonne gouvernance sont : état de droit, probité, participation, transparence, réponse aux besoins, recherche de consensus, équité et inclusion, efficacité et efficience, perspective à long terme et imputabilité.
Novembre 2014