Notes de lecture rédigées par Jean Laliberté, octobre 2022.
Le livre de Dana Milbank The Destructionists : The Twenty-Five Year Crack-Up of the Republican Party (DoubleDay, New York, 2022) est un livre déprimant. Il décrit comment une institution très ancienne qui a un jour été dirigée par Abraham Lincoln est devenue une force destructrice.
D’après l’auteur, les deux grands partis américains se ressemblaient et alternaient sans problème au pouvoir jusqu’à ce que Newt Gingrich devienne le leader de la majorité à la Chambre des représentants en 1995. Sa thèse est que Gingrich a ouvert la voie au Tea Party, puis ensuite à Trump qui ont fait du Parti républicain un instrument qui a « détruit la vérité, la décence, le patriotisme, l’unité nationale, le progrès social, la stabilité intérieure et la démocratie ». Les Républicains ont rejeté toutes les règles de civilité qui permettaient le fonctionnement harmonieux des institutions et ont fait de la politique une activité infernale.
Milbank dit que Gingrich a la distinction d’avoir changé pour toujours le langage politique. Au lieu de considérer les opposants comme des adversaires, on les traite maintenant en ennemis, on cherche par tous les moyens à les diffamer et on utilise à leur endroit toutes les injures possibles. Une des tactiques favorites est de soulever à leur endroit des allégations sans aucune preuve et, lorsque la fausseté de ces allégations a été démontrée, de soulever encore d’autres allégations. Ils ont aussi découvert qu’à force de répéter les mêmes mensonges, les gens finissaient par les croire.
À cause de ce langage hargneux et violent, les troupes Républicaines se sont radicalisées, tellement que leurs leaders n’arrivent plus à les contrôler. Gingrich n’y a pas réussi, pas plus que d’autres leaders des Républicains à la Chambre des représentants tels John Boehner, Tom Delay, Paul Ryan et maintenant Kevin McCarthy. Ces élus sont forcés de suivre leurs troupes au lieu de les guider.
À cause des tactiques des Républicains, le Congrès est devenu dysfonctionnel et la très grande majorité des Américains ont, pour cette raison, les législateurs en très piètre estime. Les Républicains se contentent de faire de l’obstruction, ce qui fait qu’il est devenu très difficile de faire adopter des projets de loi. De plus, ils n’hésitent pas, pour marquer des points politiques, à utiliser des tactiques préjudiciables à l’intérêt public, par exemple fermer les services gouvernementaux pendant plusieurs semaines et refuser d’augmenter le plafond de la dette, cette dernière action mettant en péril le système financier du pays.
Les Républicains ne se sont pas contentés de paralyser la branche législative, ils ont aussi politisé à l’extrême les cours de justice, y compris la Cour suprême. Leur influence sur toutes les institutions, y compris la présidence, a été et demeure très négative. L’apport de Donald Trump à la déchéance du Parti est particulièrement marquant parce qu’il s’est emparé du Parti en se constituant une base partisane qui lui permet de dicter ses volontés.
Les Républicains ont adopté des politiques fiscales favorables aux gens d’affaires et aux citoyens les plus riches au détriment de la classe moyenne et des moins bien nantis. Ils s’appuient sur les puissants pour garnir leurs caisses électorales et ont ouvert grand les portes du Congrès aux lobbies d’affaires. Ces lobbies ont, plus que jamais, pris une énorme importance dans la conduite des affaires de l’État. L’argent a maintenant la prépondérance dans les luttes électorales. En 1996, il s’était dépensé deux milliards de dollars pour les élections, en 2008 c’était rendu à six milliards et en 2020 la somme a atteint plus de 14 milliards. Les Républicains s’opposent de façon véhémente à toute réforme des lois électorales pour apporter des correctifs.
Mais le plus alarmant est que le parti Républicain est devenu un parti raciste. Les communautés ethniques de couleur ne sont pas considérées comme véritablement « américaines ». Les « vrais » Américains sont, pour eux, ceux de race blanche. On déplore que les chrétiens blancs soient en voie de devenir minoritaires et on soutient, la plupart du temps à mots couverts, la théorie du « grand remplacement ». Les Démocrates sont accusés de laisser entrer les clandestins au pays et de ne pas en faire assez pour limiter le nombre de demandeurs d’asile dans le but, affirme-t-on, d’accroître le nombre de leurs électeurs.
La question raciale est devenue la principale source de motivation pour amener les électeurs blancs, surtout les moins instruits, à aller voter. Comme le bassin des abstentionnistes est très élevé (la participation électorale varie entre 45 % et 55 %, selon qu’il s’agit des élections de mi-mandat ou des présidentielles), il est plus facile pour les Républicains de miser sur la motivation que sur la persuasion. Le complément de cette orientation est la tactique de suppression des votes qui est cynique et tout à fait antidémocratique.
Un autre aspect de la stratégie des Républicains n’est pas traitée dans le livre, mais constitue, selon moi, un point majeur : les Républicains misent sur des sujets comme l’immigration, la loi et l’ordre, la sauvegarde du deuxième amendement (sur les armes à feu) et les questions morales (avortement, mariage gai, LGBT, etc.) pour rallier leurs électeurs, ce qui les dispense de présenter un véritable programme électoral, tout en leur permettant de se désintéresser du progrès social et de faire fi d’enjeux comme les changements climatiques. Ils proclament aussi être les plus qualifiés pour lutter contre l’inflation et de développer l’économie, alors que les possibilités d’intervention du gouvernement en ces matières sont très limitées.
L’auteur conclut que les tactiques des Républicains ont rendu la politique dysfonctionnelle, qu’ils ne cherchent qu’à paralyser l’action du gouvernement et qu’ils n’hésitent pas à mettre le pays en danger pour faire avancer leurs intérêts partisans.
Jean Laliberté, octobre 2022