Aborder le thème de la prise en compte des rythmes de vie des habitants de la ville et de ceux qui chaque jour ou sur une base hebdomadaire, viennent de la périphérie et des villes et MRC limitrophes pour leurs diverses activités, ajoute une dimension essentielle à la planification de l’aménagement du territoire, soit l’humain. La ville de Lyon offre un modèle intéressant de prise en compte des rythmes humains à grande échelle et des temps de la ville dans la planification de grands projets et développements.
La ville de Portland aussi, bien que non spécifiquement nommée ainsi, inclut cette dimension dans les nombreuses études et concertations (municipalité-citoyen-secteur économique, société de transport), avant les prises de décision importante concernant l’aménagement de son territoire. Son modèle d’aménagement du territoire, Modèle TOD (transit-oriented development) garanti la prise en compte de tous ces aspects dans un modèle de développement responsable.
Le chapitre 2 du SAD explique sur quelles dimensions sont appuyés les fondements du schéma. Le concept d’organisation spatiale, la mobilité durable appuyée sur les précédents schémas et les « corridors structurants ». On vise à répartir la croissance et les équipements sur le territoire, plus près des lieux de résidences, en voulant réduire les distances à parcourir quotidiennement par une partie de la population et à réduire les déplacements automobiles. Le concept d’organisation spatiale inclut aussi les milieux spécialisés; aires industrielles et commerciales et les campus technologiques (spécialisés, à rayonnement régional ou suprarégional, …).
Et si on ajoutait le concept de temporalité à celui de spatialité pour trouver de nouvelles solutions aux problèmes de chevauchement des temps sociaux, individuels et territoriaux.
Il faut cesser de faire du développement dans lequel les besoins des humains ne sont pas pris en compte dès le départ. En prenant en compte des besoins, en s’inspirant par exemple du modèle TOD et de celui de l’ajout de la dimension du temps dans la façon de faire l’aménagement du territoire, on se rapproche de cet objectif. Les facteurs ayant introduit la complexité et la multiplicité des éléments à prendre en compte dans la planification et l’aménagement du territoire des villes sont multiples; citons l’étalement urbain qui rend les déplacements difficiles, la vitesse exponentielle des développements technologiques et des communications qui réduisent la frontière entre les différents rythmes de la vie (la vie professionnelle s’insinuant dans la sphère privée en tout temps). Le manque de services et de commerces de proximité dans tous les quartiers générant beaucoup de déplacements erratiques qui se recoupent et se croisent souvent dans une même journée, etc.
L’extrait suivant d'un article intitulé Penser les humains ensemble. Aménager les rythmes : politiques temporelles et urbanisme par Sandra Mallet, urbaniste et professeur à l’université de Reims, illustre bien ce propos.
Le développement technologique induit des temps artificialisés et perturbe les rapports traditionnels des individus au temps et à l’espace (Ascher, 2003). La rapidité grandissante de la transmission des communications ancre les échanges dans une sorte de processus continu et sans interruption. Le « temps réel » n’ordonne plus uniquement le monde industriel, mais s’immisce de façon progressive dans le quotidien. Les individus sont dorénavant accessibles en permanence et une sorte de brouillage apparaît entre les périodes de travail et de non-travail. Les transports, toujours plus performants, reconfigurent les distances entre les lieux qui se mesurent désormais plus en termes de durée que de kilomètres….
…Cette accélération se définit comme l’augmentation du nombre d’épisodes d’actions ou d’expériences par unité de temps. Elle est liée à la réduction des ressources temporelles : objectivement, l’accélération du rythme de vie représente un raccourcissement ou une densification des épisodes d’action. […] elle se traduit, subjectivement […] par une recrudescence du sentiment d’urgence, de la pression temporelle, d’une accélération contrainte engendrant du stress, ainsi que par la peur de « ne plus pouvoir suivre » (Rosa, 2010, p. 103).
L’ensemble de ces évolutions temporelles reconfigure la géographie urbaine, les façons de pratiquer l’espace et les attentes des habitants.
Citons, comme autre exemple, le concept de quartier 20 minutes de la ville de Portland et son développement axé sur le transport en commun (TOD). Cette façon de planifier vise à régler les problèmes de déplacements et les lacunes dans les services de proximité, évitant l’accroissement de l’utilisation du transport individuel. Le modèle TOD est plus près de l’idée d’agencement des rythmes des individus et des rythmes de la ville, toujours dans une vision de développement durable puisque celle-ci semble faire partie de la culture de la ville de Portland et de ses citoyens. Les avantages de prévoir les développements majeurs en partenariat et en concertation entre tous les acteurs comportent plus d’avantages que d’inconvénients. Le succès de la ville de Portland en aménagement démontre bien l’importance de renforcer les mécanismes de concertation et même d’en créer de nouveaux.
À Québec, il existe des quartiers où il est possible d’avoir accès à pied ou en transport actif ou en commun à des commerces et services de proximités; pourquoi ne pas les bonifier et étendre cette qualité de vie à d’autres quartiers aussi.
Faciliter les accès, les déplacements, les vocations multiples : commerces, restaurants, épiceries de quartier, halles, bibliothèques municipales, places publiques, parcs urbains, etc.
Adapter cette idée de quartier 20 minutes à la Ville de Québec en valorisant les commerces et services de proximité, les nouvelles formes de travail (espace de « coworking »), garderie située de façon stratégique et adaptée au besoin des parents et des enfants, ou toutes autres idées permettant d’améliorer la qualité de vie et le vivre ensemble.
Ajouter cette dimension de temporalité à l’aménagement spatial du territoire pour mieux agencer les développements et les grands projets avec les déplacements sur le territoire est incontournable. Pour l’environnement, pour une gestion efficiente des investissements en infrastructure, mais aussi pour la santé physique et la résistance au stress de ses habitants. Il est prouvé par de nombreuses recherches, tant en Europe qu’en Amérique du Nord, que l’accélération des différents rythmes quotidiens a un impact majeur sur la qualité de vie, la santé physique et mentale des citoyens, le sentiment d’urgence constante est néfaste pour plusieurs.
Cela a également beaucoup de conséquences sur la conciliation travail-famille pour les jeunes adultes et sur la gestion des déplacements quotidiens pour les citoyens plus âgés (recours à divers services publics, médicaux, les loisirs, s’occuper des petits enfants et cumuler parfois en même temps le rôle d’aidant naturel). Il faut considérer que les personnes vieillissantes doivent délaisser graduellement l’utilisation de l’automobile, il devient alors plus difficile pour eux de se déplacer, puisque l’offre de services en transport en commun ne concorde pas toujours avec leurs besoins, mais aussi les modes de déplacements offerts n’offrent pas non plus un éventail de choix modulable.